jeudi 20 octobre 2022

Le livre ouvert, récit d'une ultime cordée

"Je l'aperçois sur la route, depuis la fenêtre du premier. Elle marche avec un bâton, son chien à ses côtés. Ils s'arrêtent devant le portail. Je ne sais pas comment elle a identifié le chalet, comment elle a su que c'était là."

... ce sont les premières phrases de ce petit livre paru en toute confidentialité



Le livre ouvert, Sophie Schulze

aux éditions Léo Scheer

Résumé de l’éditeur : C’est l’histoire d’une ascension, celle d’une classique des Alpes, la traversée Charmoz-Grépon, par une cordée atypique : un guide de haute montagne et une cliente sur le point de perdre complètement la vue. Au milieu de cet environnement inhospitalier, les récits alternés de ces alpinistes, si différents l’un de l’autre, guident le lecteur dans le dédale de leurs émotions et souvenirs

De l’intériorité des personnages à l’extériorité absolue de la montagne, se trace, pas à pas, le chemin qui mène à soi.



Une même cordée, deux quêtes et un apprentissage mutuel


Une histoire d'ajustement

Le guide, lui, connaît par cœur les voies de ses montagnes, la femme qu’il prend en charge a une longue pratique de l’ascension. Elle est expérimentée, une expérience acquise avant de perdre la vue. Au fur et à mesure que son handicap a progressé, elle a appris à déchiffrer son environnement non plus avec le regard mais avec le toucher principalement, en plus des autres sens. Pour cette ultime ascension, la nouveauté réside donc dans sa manière d’appréhender les éléments. Elle a besoin que son guide soit ses yeux.

Lui est un montagnard, un guide respecté, attentif à la météo, à son environnement, à la personnalité de ceux qu’il accompagne. Mais il n’a jamais eu à guider une personne non-voyante. C'est une expérience inédite et périlleuse.

L’un et l’autre vont apprendre à développer une grande attention à l’autre, à sa perception des choses. Le guide va apprendre la patience et elle, l’acceptation – l’intégration même – d’un nouveau mode de vie, ce qui signifie aussi être capable d'exprimer et de clarifier son appréhension du monde.

Le récit est mené conjointement par ces deux personnages. Leurs deux voix se répondent (sa voix à elle est identifiée par l’utilisation d'une police en italique). 



Un texte mélancolique

Il se dégage de ce roman une atmosphère de grand calme. Les deux narrateurs sont dans l’observation, les sensations, l’acuité des ressentis, totalement accaparés par leur objectif. Leur ascension est silencieuse, concentrée, à l’affût de toute faille, de toutes les prises envisageables.

Le texte est métaphorique : si les descriptions de cette ascension peuvent un peu perdre le lecteur,  le cheminement humain est, lui, très parlant. Cette ultime ascension sera, pour chacun des protagonistes,  l'occasion de découvrir une nouvelle voie de compréhension pour leur avenir.

Cette capacité à adopter une nouvelle perspective (perdre la vue et donc devoir inventer un nouveau rapport au monde ; accepter que la lignée familiale de guides de montagne s’interrompe) est très belle.

Et puis il est question de ce que l’on croyait éternel et qui disparaît : la dramatique fonte des glaces, qui révèle que « les neiges éternelles » ne sont pas éternelles, que tout ce qu’on tenait pour acquis s’altère tôt ou tard : les paysages, la vie, la vue.



Ce n’est pas un roman triste, 

au contraire. 

Il raconte, 

(avec une certaine poésie)

la capacité de l’être humain à s’adapter aux autres

ainsi qu’à son environnement.

Passage choisi par Marie :Il y a toute une mythologie de la cordée. Deux êtres qui unissent leur vie, le geste de l’un pouvant condamner l’autre. Ou le sauver. C’est comme un cordon ombilical qui se noue et parfois se coupe.

Il y a une hiérarchie. Le premier de cordée prend plus de risques. Mais les meilleures cordées sont complémentaires. Le premier sait que le second peut prendre le relais si nécessaire. Les décisions cruciales sont prises à deux.


Passage préféré de Mylène : "De quoi ce livre ouvert est-il le nom ? Je suis seule devant ces pages. Je m'en approche avec curiosité. Je les caresse. Je sens les aspérités du granit sous mes doigts. Un grain. Deux grains et un grain à gauche. Trois grains en triangle. Un point en haut, deux points en bas. Trois points alignés, un point à droite. C'est tout un alphabet en braille !

Je n'ai plus envie de grimper. J'ai envie de lire ce livre. De découvrir son message.

Trois points alignés, trois points en bas à droite - V - Deux points en diagonale - I - Un point à droite, deux points alignés en bas - S ! Tel est le message. « Va, vis et deviens.»”




Quelques romans en altitude :





  • Sur la trace de Nives, Erri De Luca (Gallimard, 2006)

R DEL 

  • Les huit montagnes, Paolo Cognetti (Stock) - Prix Médicis 2017

R COG ITA

  • 8848 mètres, Silène Edgar (Casterman)

RA EDG


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